Endeuillée

Dimanche dernier, c'était la fête des mères, et je n'ai pu m'empêcher de penser à toi.

De manière rationnelle, j'ai décortiqué cette relation si peu commune qui nous unissait. Durant des années, j'ai cherché des prétextes, des excuses à cette haine que tu me vouais. Longtemps, j'ai pensé que j'étais fautive, que je ne serai jamais assez bien. Toutefois je me suis leurrée, je me trompais sur toute la ligne.

À tes yeux, j'étais l'incarnation de ton péché, de ta disgrâce, de ta ruine.

Si ta reconnaissance je désirais ardemment, il m'aurait fallu arpenter la route que tu m'avais toute tracée, il m'aurait fallu devenir comme toi. Mais après avoir vu et subi ton courroux d'innombrables fois, après avoir ressenti jusque dans mes chairs ta haine, n'avoir vu que du mépris dans ton regard toute ma vie durant ; il m'est apparu que jamais je ne pourrai être comme cet être que je ne pouvais qu'abhorrer.

Car si tu ne m'offrais que des ténèbres, je savais, ou plutôt, j'avais pu goûter à la lumière.

C'est un fait, nous étions diamétralement opposées. Si tu voulais faire de moi un monstre, sois rassurée, en quelques sortes, j'en suis devenu un. Certainement pas celui que tu espérais, même dans tes pires cauchemars, tu n'aurais pu l'imaginer ainsi. Nos conflits incessants, nos rancœurs, tes mensonges, tes faibles techniques de manipulation, tout cela n'aura jamais eu l'effet escompté. Donc, je comprends pourquoi j'ai toujours été une déception à tes yeux.

Malgré tout, je ne te voue pas de haine.

Je te connaissais sans doutes mieux que personne d'autre, je t'ai regardé, scruté, écouté. Je connais tout le panel de tes expressions, de ta rage à ta peine, de ton désespoir à ton plus franc sourire. Je t'ai vu pleuré comme une enfant, rire à gorge déployée, mais jamais cela n'a été pour moi. J'ai envié ceux pour qui tu ressentais de véritables et belles émotions, alors que je n'ai toujours eu droit qu'à de faux semblants.

Ta plus grande déception aura été de me voir heureuse sans toi.

J'étais l'animal que tu prenais soin d'épier, de torturer pour pouvoir te sentir mieux. Je me souviens que tu me disais redouter que je m'en aille et ne revienne jamais. Tu m'as fait promettre de rester coûte que coûte à tes côtés. Je n'ai pas pu l'honorer ! La liberté avait trop bon goût, la vie était devenue tellement plus douce et simple à la fois. Je voulais vivre et non me détruire, je voulais rire, je voulais être moi, et pas une créature que tu aurais façonnée de tes doigts.

Tu m'as confié que le jour où je serai mère à mon tour, enfin, je comprendrai.

Je redoutais tant le devenir, j'étais terrifiée à l'idée de faire les mêmes erreurs que tu as commise. Cependant c'est vrai, j'ai compris bien des choses. Lorsqu'un on devient mère, on cherche à ce que ce petit être qui faisait partie de nous soit comme une extension de nous. On y plante nos espérances, nos craintes mais aussi nos rêves. Nous faisons comme une sorte de transfert. On désire tellement se retrouver en lui.

Or, toutes les deux, nous ne nous ressemblons pas.

Je t'ai fui pour ne pas devenir prisonnière de tes desseins, pour ne plus être ton instrument, pour ne plus jamais me soumettre. À l'inverse de toi, pour mon enfant, j'aspire à un avenir brillant, je ferai tout pour lui soulager ses peines, toutes les concessions et sacrifices possibles pour lui permettre d'être heureuse. Mais par dessus tout, je veux qu'elle soit fière d'être ce qu'elle est. Elle n'est pas moi, et je l'aime parce qu'elle est " elle ". Je lui offre ce que je désirais tant recevoir de toi.

Aujourd'hui, je te dis ce que tu n'aurais jamais voulu entendre et avec cela j'efface mon unique regret te concernant.

Il y a bien longtemps que je ne te reproche plus notre douloureux passé. Il est ce qu'il est, nous ne pouvons le changer. Même si ce n'était en rien ton but, malgré toi, ce que je suis devenu, tu en es en grande partie responsable. Je n'ai pas encore la maturité ni la sagesse suffisante pour tout te pardonner.

Néanmoins, maman, je t'ai toujours aimé.

 

 

 

 

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