Impertinente

Pour m'amender, je devais lui rendre visite tous les jours. Cet été-là, elle perdit sa chienne. Et j'ai vu cette montagne que je traitais de folle, s’effondrer. Moi, incapable d'empathie, je ne pouvais comprendre pourquoi. Je regardais les gens se toucher, se prendre dans les bras, se mettre à pleurer, s'embrasser, sans savoir pourquoi ils le faisaient. Pire que ça, je la regardais enlacer ce chien qui me terrorisait, et cela m'intrigua.

Pourquoi enlace-t'elle cet animal alors qu'elle hait tant le monde qui l'entoure ?

Comme je l'ai mentionné précédemment, j'avais des difficultés pour lire. Et c'est grâce à mon réapprentissage que je compris bien des choses. Cette femme au caractère bien trempé, aux remarques acides, tapait du poing sur la table à mes balbutiements, grognait, pouffait de rire, me faisait les gros yeux à chaque fois que j'écorchais un mot, se moquait allégrement, me traitait de stupide ou bien de débile, de décérébrée, ou bien de robot. Elle se plaignait des standards à l'école et dépréciait le fait qu'on me fasse sauter de classe.

Je partais souvent en rogne en claquant la porte.

Plus je lui répondais, plus j’aggravais mon cas, plus elle me faisait travailler. Toutefois, je me pris à aimer nos joutes verbales, j'ai amélioré ma lecture ainsi que mon écriture. Elle m'a appris que des mots ne sont pas de simples lettres amalgamées, que certains avaient sué sang et eau pour les coucher sur le papier, que les mots vivent à travers nos émotions et qu'on devait respecter le travail de ceux qui avaient mis leur âme dedans.

Toutefois, je ne pensais pas avoir d'âme.

Pour punition, elle m'avait fait travailler dans son jardin. Je défrichais, je m'écorchais les mains, et m'en plaignais. Elle me dit : « La dernière fois tu t'es plantée sans broncher les épines d'une rose dans la main comme une abrutie. Alors je te retire le droit de te plaindre ! » Je continuais en silence, elle regardait attentivement, la radio allumée, et sur un air de classique, je ne faisais que pester intérieurement. À la fin de mon dur labeur, je me rendis compte qu'elle m'avait fait dégager tout un coin, tout un espace autour d'un arbrisseau. C'était un camélia. Elle me dît : « Tu vois, cette plante est comme toi, pour survivre elle a dû difficilement se trouver une place pour recevoir du soleil, alors en l'aidant juste un peu à se frayer un chemin, l'an prochain peut-être qu'elle fleurira. »

Cette dame m'a offerte une leçon chaque jour.

Avec le temps, je me suis mise à être impatiente de la prochaine remarque sarcastique, à apprécier nos séances de lectures à l'ombre des glycines, des leçons de vie, des pages de sa vie, des instants simples, plus j'en apprenais sur elle, plus je l'admirais, et finalement plus je l'aimais. J'étais sa mie lors de nos parties de cartes, j'étais sa petite fille lorsqu'elle me faisait jardiner, j'étais son arrière petite fille lorsqu'elle me consolait, et j'étais sa fille lorsqu'on se confiait l'une à l'autre ou même lorsqu'on cuisinait.

Pour elle, j'étais l’impertinence incarnée.

Lorsque nous nous sommes rencontrées, je n'étais qu'un animal vide, elle a su avec mon petit papa me donner un visage humain. Comme le temps érode les montagnes, elle s'affaiblissait au fur et à mesure que je grandissais. Mais elle gardait toujours cette posture digne, cette femme riche de culture, de sagesse, m'a offert ce que je désirais tant avoir et ne pensais déceler : une âme. Alors tant pis si j'aime le classique, le jazz, la littérature, les vieux films, la nature, les animaux...Tant pis si je suis conservatrice et vais à l'encontre de certaines mouvances. Ce qui est beau pour moi ne l'est peut-être pas pour tout le monde, et honnêtement...je n'en ai que faire.

Pour reprendre ses mots :  « Il avait raison ce petit merdeux de Petit Prince ! »

« On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. »

Le Petit Prince ~ Antoine de Saint-Éxupery

 

 

 

 

 

 

 

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