La tête dans les étoiles

L'envol

 

Lorsque j'étais encore une enfant, je me souviens avoir trouvé un oisillon sur un chantier. Il était tout frêle, sans défenses, nu, et miraculeusement en vie. En bonne âme, je l'ai ramené à la maison où nous avions une volière. Quand je dis volière, il faut penser plutôt à une grange, car elle était de ce gabarit. Nous avons pris soin de lui. Nous l'avons choyé, et il grandît.

Que ne fut notre surprise lorsque nous nous rendîmes compte qu'il était loin d'être une tourterelle ou une de nos colombes. Il avait un bec acéré teinté de jaune, de puissantes serres toutes aussi jaunes, il était gros, un appétit vorace, et non pas pour les graines. Il commençait à devenir dangereux pour ses compagnons.

Éternel incompris, il avait juste des instincts différents !

Pour mon douzième anniversaire, l'on m'a demandé ce que je désirais. C'est alors que je me mis à penser à cet oiseau. Il évoluait dans un espace certes confortable pour les uns mais tellement oppressant pour lui. Malgré nos soins, notre amour, je savais qu'il n'était pas à sa place. Tout naturellement, je demandai à mon grand-père d'ouvrir cette geôle. Il redoutait tellement de perdre ses enfants qu'il nourrissait et aimait tant.

Il me prit par la main, et ce matin là, nous nous rendîmes à la volière. Nous ouvrîmes toutes les portes. L'oiseau en question, aussi farouche qu'il pouvait être, était hésitant, nous attendîmes un long moment. Puis brusquement, il prit son envol. À toute vitesse, il s'échappa. J'étais subjuguée, jamais je n'avais vu une telle prouesse. Je courus derrière lui, en pensant vainement pouvoir peut-être le rattraper.

Il volait déjà haut dans le ciel !

D'en bas je scrutai le ciel, il volait, il planait, il virevoltait. Il était majestueux ! De là où j'étais, bêtement, je lui faisais de grands signes. Les yeux larmoyants devant ce spectacle à couper le souffle et qui pourtant m'arrachait le cœur, j'étais obnubilée. Le cœur serré, je l'admirais de loin. Il fit une descente en piquée tandis que je scandais son nom, les yeux plein d'admiration, les yeux emplis d'étoiles. Au loin, je l'entendis réclamer. Les larmes dévalant mon visage, j'ai ressenti quelque chose que je ne pouvais connaître jusqu'alors. J'étais heureuse.

Heureuse malgré ce torrent qui déferlait sur mes joues, heureuse de son propre bonheur.

Puis il s'éloigna, prit plus de distances. Il vola jusqu'à disparaître de mon horizon. Il était tellement loin que je ne pouvais plus discerner sa magnifique silhouette. Il avait goûté à la liberté et à son ivresse. Désemparée, tout le jour durant, je l'attendis dans le jardin, scrutant désespérément son nouveau territoire. Je m'étais faite une raison, il ne reviendrait pas !

Le lendemain matin, à notre plus grande surprise, nous fûmes réveillés par de mélodieux chants. Dans notre jardin, nos oiseaux envolés de la veille étaient présents pour nous saluer, nous, leurs geôliers. Le cœur chaud, les yeux écarquillés, j'étais stupéfaite. Ils ne nous avaient pas oubliés. Il nous revenaient. Mon âme emplie de satisfaction, de fierté, nos adorés étaient revenus pour nous.

C'est alors que de je ne sais où, je l'entendis, Il réclama !

C'est ainsi que des années durant, nos chers locataires nous rendîmes visite tous les jours. Cette petite expérience aura à jamais marqué ma vie, car j'ai appris une chose ce jour-là. Malgré nos attentions, nos bons sentiments, tout l'amour que nous pouvons portés aux êtres qui nous sont chers, parfois il faut savoir les laisser prendre leur envol, au risque de les perdre. Cet oiseau si cher à mon cœur, lorsqu'il prit possession du ciel, je compris qu'il avait enfin rejoint son élément.

Il avait trouvé sa place !

Si aujourd'hui je chéris encore ce souvenir, c'est sans doute parce qu'à ce moment là, je me l'imaginais les yeux plein de fougue, les yeux plein d'étoiles, son cœur empli de bonheur. Dans son envol, il s'était trouvé, dans son envol je le trouvais plus que jamais magnifique.

Jamais je n'aurais pu imaginé le voir si rayonnant !

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